Dans l’industrie pharmaceutique, comme ailleurs, l’OTIF est devenu le mot d’ordre. On le brandit comme le symbole ultime de la performance.
Mais à force de le répéter, il finit par masquer ce qu’il ne mesure pas : la réalité industrielle, la qualité du service, et la nature même du lien que nous entretenons avec ceux qui produisent pour nous.

L’OTIF : un indicateur nécessaire, mais pas suffisant
Soyons clairs : l’OTIF reste un indicateur utile. Il reflète la fiabilité d’un processus, la capacité à livrer dans les temps et dans les quantités prévues.
Mais il ne dit rien du service réellement rendu au client, ni de la valeur créée par la maîtrise industrielle.
Appliqué à un sous-traitant, il a tout son sens : j’attends de lui qu’il tienne ses engagements, qu’il livre « On Time In Full », et que, combiné à un indicateur de service client, cela traduise sa qualité de partenariat.
Autrement dit : pour un partenaire externe, OTIF + Service Client me suffisent. Ce sont des indicateurs de fiabilité contractuelle et de performance relationnelle.
Mais pour une usine interne, c’est une tout autre histoire
En revanche, s’agissant de nos propres usines, l’ambition ne peut pas s’arrêter là.
Je n’attends pas d’elles la simple conformité d’un flux logistique — j’attends plus :
- une fiabilité structurelle, car la maîtrise du processus est entre nos mains ;
- une flexibilité accrue, capable d’absorber la variabilité de la demande ou d’un marché tendu ;
- une réactivité supérieure, car la proximité organisationnelle doit permettre un ajustement quasi instantané ;
- et surtout, une intelligence industrielle, cette capacité à anticiper, proposer et innover, qu’aucun sous-traitant, aussi performant soit-il, ne pourra totalement reproduire.
En d’autres termes, nos usines ne sont pas des fournisseurs. Elles sont une extension de notre responsabilité industrielle et de notre promesse client.
La tentation de l’égalitarisme industriel
Assimiler une usine interne à un sous-traitant sous prétexte de symétrie d’indicateurs, c’est commettre une erreur de pilotage.
C’est oublier qu’une usine propre est un centre de savoir-faire, un levier de souveraineté, et souvent un amortisseur stratégique face aux crises d’approvisionnement.
C’est aussi risquer de reproduire les illusions du début des années 2000, quand certains rêvaient d’entreprises « sans usines » — on sait où cela a conduit.
Replacer le service au cœur de la mesure
Le service au client doit redevenir le fil conducteur :
- pour un sous-traitant, il s’évalue à travers la fiabilité du contrat (OTIF + Service Client) ;
- pour une usine interne, il s’apprécie à travers la capacité à servir, à s’adapter, à sécuriser et à progresser.
Confondre les deux, c’est se condamner à piloter sur des moyennes qui ne disent rien de l’essentiel.
Le rôle d’un indicateur n’est pas d’uniformiser la réalité, mais de l’éclairer.
Conclusion
L’OTIF n’est pas à jeter — il faut simplement le remettre à sa place : celle d’un indicateur de processus, pas d’un indicateur de stratégie.
Je me contenterai volontiers d’un bon OTIF assorti d’un bon niveau de service pour un sous-traitant.
Mais pour mes propres usines, j’en attends davantage : de la fiabilité, de la souplesse, de la réactivité, et cette part d’intelligence opérationnelle qui fait la différence entre un fournisseur et un pilier industriel.
EMMANUEL DE RYCKEL
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