
Dans le monde industriel, la méthode 5S est souvent présentée comme un ensemble de bonnes pratiques destinées à améliorer l’ordre, la propreté et l’efficacité des espaces de travail. Rien, a priori, ne semble la relier à des concepts comme la délinquance ou la tolérance zéro. Et pourtant, plusieurs experts de la qualité et de la performance opérationnelle établissent aujourd’hui un parallèle surprenant : les mécanismes qui conduisent à la dégradation d’un quartier sont très proches de ceux qui mènent à la dégradation d’un système de production.
Le point de convergence se trouve dans un principe comportemental bien connu des criminologues : la théorie des « fenêtres brisées ». Cette théorie avance que lorsqu’une petite dégradation n’est pas réparée – une vitre cassée, un graffiti, un déchet abandonné – elle envoie le signal que l’environnement n’est plus surveillé. Peu à peu, d’autres incivilités apparaissent, puis, à terme, des actes de délinquance plus sérieux.
En milieu industriel, les experts reconnaissent une mécanique identique. Un outil laissé hors de son emplacement, un poste de travail non nettoyé, une identification manquante sur un produit ou un chariot : autant de « petites fenêtres brisées » qui, si elles ne sont pas corrigées immédiatement, finissent par installer un climat de tolérance implicite à la déviation. De proche en proche, c’est la rigueur du système qui s’érode, jusqu’à générer des incidents qualité, des non-conformités, voire des situations à risque pour les opérateurs.
La méthode 5S, développée au Japon et adoptée dans de nombreuses industries mondiales, repose précisément sur le principe inverse : l’élimination systématique de ces micro-écarts. En imposant un cadre strict – chaque outil à sa place, chaque anomalie traitée immédiatement, chaque standard appliqué sans exception – le 5S vise à créer un environnement où l’écart n’a aucune chance de s’installer. Autrement dit, une forme de tolérance zéro appliquée non pas à la sanction, mais à la prévention.
Les défenseurs de ce parallèle assurent que l’enjeu dépasse largement la simple organisation d’un atelier. Selon eux, il s’agit d’un véritable mécanisme de protection du système : empêcher que de petits relâchements ne viennent fragiliser l’ensemble de la chaîne de production. Un principe qui, transposé au quotidien, rappelle que la performance industrielle se construit moins sur des initiatives ponctuelles que sur une discipline collective constante.
Ainsi, si la comparaison entre 5S et délinquance peut sembler audacieuse, elle met en lumière une vérité opérationnelle essentielle : la robustesse d’un environnement – qu’il soit urbain ou industriel – dépend d’abord de la manière dont les moindres écarts sont traités. La tolérance zéro n’est ici ni une posture répressive ni un slogan, mais une condition de stabilité. Et c’est sans doute dans cette vigilance quotidienne que se joue la performance durable des organisations
Emmanuel de Ryckel
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