Après plusieurs décennies passées au contact de la Supply Chain pharmaceutique, une conviction s’est imposée à moi: les organisations les plus robustes ne sont ni celles qui disposent des outils les plus sophistiqués, ni celles qui multiplient les initiatives ponctuelles ni celles qui possèdent les gens les plus brillants. Ce sont celles qui ont intégré, profondément et durablement, la pensée processus.

Bien avant que la digitalisation et le pilotage end-to-end ne deviennent des standards, certains leaders que j’ai croisé jadis, avaient d’emblée compris deux vérités fondamentales:
D’une part, que la qualité ne se décrète pas, elle se construit à partir de la valeur client (Customer-Driven Quality).
De ceci nous reparlerons par ailleurs, tant il semblerait qu’aujourd’hui cette focalisation des Entreprises sur le Client qui les fait vivre, semble remplacée suivant un pénible effet de mode, par l’OTIF, qui lui ne garantit en rien un parfait service à ce même client.
D’autre part, qu’aucune performance durable n’est possible sans considérer l’entreprise comme un ensemble de processus maîtrisés, ce que j’appelle le « Process thinking ».
J’ai eu la chance de grandir dans cet environnement, dans une entreprise (SmithKline Beecham) où des dirigeants visionnaires avaient identifié, bien avant qu’ils ne deviennent des « buzzwords », ces deux principes structurants du succès industriel.
Ces principes n’étaient ni théoriques ni décoratifs. Ils constituaient le socle culturel de l’organisation. Chaque processus devait être clairement défini, documenté, maîtrisé et transmis. Cette rigueur a permis d’obtenir des résultats prévisibles, reproductibles et conformes, condition indispensable à une performance pérenne.
Une définition simple, mais structurante
Un processus peut se définir comme une suite d’étapes organisées, chacune générant une valeur ajoutée pour un client interne ou externe.
Adopter une approche processus, c’est passer d’une gestion réactive à une discipline structurée, capable de garantir à la fois performance, conformité et résilience.
Le nouveau défi : des Supply Chains centralisées et interconnectées
Aujourd’hui, les organisations pharmaceutiques s’orientent vers des modèles de planification centralisés, intégrant à la fois des sites internes et des partenaires industriels externes (CMO). Cette évolution offre des gains indéniables en visibilité et en efficacité globale.
Mais sans une approche rigoureusement orientée processus, cette centralisation peut devenir un facteur de fragilité plutôt qu’un levier de performance.
Les risques d’une planification non structurée
Lorsqu’elle repose davantage sur les individus que sur des processus formalisés, la planification devient vulnérable. Les symptômes sont bien connus :
- responsabilités fragmentées,
- dépendance excessive aux expertises individuelles,
- variabilité des résultats.
- inefficiences et replanifications récurrentes.
Dans ce contexte, l’organisation peut donner l’illusion du contrôle… jusqu’à ce qu’une crise d’approvisionnement ou une rupture majeure révèle ses failles.
Le Process Thinking appliqué à la Supply Chain
Le Process Thinking consiste à concevoir et piloter chaque activité comme un système structuré, avec des entrées, des sorties, des responsabilités claires et des indicateurs de performance. Appliqué à la Supply Chain, cela implique notamment de :
- cartographier les flux de bout en bout, de la demande client à la livraison finale ;
- définir clairement les rôles et responsabilités (RACI) entre fonctions et partenaires ;
- standardiser les étapes clés de la planification : gestion de la demande, planification capacitaire, ordonnancement, suivi d’exécution ;
- documenter les flux, les rôles et les responsabilités , les règles, arbitrages et exceptions afin de garantir la conformité réglementaire;
- déployer des indicateurs robustes et pertinents tels, l’adhérence au plan, le taux de replanification …;
- Instaurer une dynamique d’amélioration continue via des revues de performance, des audits internes..
- Mais surtout FORMER les acteurs des processus de manière a garantir leur fonctionnement correct.
Sans cette discipline, la Supply Chain se résume à une succession d’actions isolées et fragiles.
Avec elle, elle devient prévisible, agile et résiliente.
Prendre de la hauteur : l’éclairage du modèle HBDI
Mettre en place et maintenir le « Process Thinking » repose essentiellement sur la posture cognitive des décideurs. Le modèle HBDI (Herrmann Brain Dominance Instrument) met en évidence quatre grandes préférences de pensée :
- Bleu (Rational) : analytique, orienté données et logique,
- Vert (Safekeeping) : structuré, prudent, attaché aux règles,
- Rouge (Feeling) : relationnel, collaboratif,
- Jaune (Experimental) : global, visionnaire, créatif.
Pour concevoir des processus robustes, les dirigeants doivent mobiliser pleinement le quadrant jaune, celui de la vision d’ensemble et de la conceptualisation.
Trop souvent, les organisations se focalisent sur les détails opérationnels avant même d’avoir défini l’architecture globale du système.
L’analogie de l’architecte : penser avant d’optimiser
J’ai souvent l’habitude lorsque je suis confronté à des interlocuteurs fascinés par le détail et incapables de prendre de la hauteur afin de « Penser Processus », d’utiliser la métaphore de l’architecte.
En effet, lorsqu’on confie un projet de construction d’un nouveau bâtiment à un architecte, on ne commence pas par discuter de l’emplacement des prises électriques. On définit d’abord le type de bâtiment, son usage, sa structure. Ce n’est qu’une fois la charpente pensée que les détails techniques prennent sens.
La planification Supply Chain doit suivre la même logique. Avant d’optimiser des paramètres ou de déployer des outils, il est essentiel de concevoir l’architecture globale : flux, interfaces, règles de gouvernance et modes de décision.
Cette approche, largement utilisée dans les cabinets de conseil, est un facteur clé de cohérence et de robustesse à long terme.
Conclusion : la pensée processus comme colonne vertébrale
La planification end-to-end est un enjeu stratégique majeur, mais elle ne peut être efficace sans un socle solide. Ce socle, c’est la pensée processus.
En Supply Chain Planning, plus qu’ailleurs, rien ne peut être laissé au hasard si l’on vise des résultats durables, conformes et résilients.
Emmanuel de Ryckel

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