La planification industrielle – est aujourd’hui un pilier stratégique des entreprises industrielles. Mais derrière les outils sophistiqués et les tableaux Excel impeccables, un élément crucial reste trop souvent oublié : l’humain.
Trop d’organisations continuent de voir la planification comme un simple exercice intellectuel : maîtriser les outils, appliquer les méthodes, suivre les référentiels. Résultat ? Des plans brillants sur le papier, mais fragiles sur le terrain.

Le planificateur, chef d’orchestre invisible
Planificateurs, souvenez-vous : vous n’êtes pas de simples producteurs de plannings. Vous êtes les médiateurs entre des fonctions aux objectifs parfois divergents – ventes, production, achats, logistique. Vous traduisez les ambitions stratégiques en décisions concrètes et arbitrées. Souvent sans autorité hiérarchique directe, votre responsabilité sur la cohérence globale est énorme.
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La technique ne fait pas tout
Certifications et formations professionnelles (APICS, ASCM…) structurent la fonction et diffusent un langage commun. Mais elles restent centrées sur la théorie et les modèles standardisés. Elles n’apprennent pas à gérer l’imprévu, à composer avec les contraintes opérationnelles ou à naviguer dans les équipes humaines.
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L’ancrage terrain, clé de crédibilité
Planificateurs, posez-vous cette question : quand êtes-vous allés pour la dernière fois sur le terrain pour observer, comprendre et ajuster vos plans ?

Je me souviens d’une conversation marquante avec le patron d’une équipe de planification centralisée. Je lui faisais part de mon regret : son équipe ne connaissait pas assez bien les usines et ne les visitait pas assez souvent. Il m’a répondu, sûr de lui, presque en l’air : « Ce n’est pas nécessaire du tout. Il suffit que les usines mettent leurs paramètres de capacité dans le système, et mon équipe n’aura plus qu’à leur envoyer les plans qu’il leur faudra ensuite exécuter. »
Cette réponse illustre parfaitement l’erreur fondamentale de nombreuses approches centralisées : la planification ne peut pas se réduire à une simple saisie de données et à des outils sophistiqués. Sans connaissance directe du terrain et compréhension des contraintes réelles, les plans restent théoriques et souvent inapplicables.
L’expérience montre que l’exposition directe aux sites industriels est un levier majeur de performance et de crédibilité. Les planificateurs qui visitent les ateliers, observent les flux et comprennent les comportements humains sont capables d’anticiper les points de rupture, d’ajuster leurs hypothèses et de construire des arbitrages réalistes et acceptés par tous. Ceux qui restent derrière leurs écrans risquent de produire des plannings séduisants sur le papier… mais inefficaces dans la réalité quotidienne.
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Des succès qui cachent des rigidités
Certaines entreprises semblent performer malgré une planification très technique. Mais ces succès s’accompagnent souvent de structures lourdes : comités multiples, centralisation accrue, processus empilés. Cette sophistication compense le manque d’agilité, mais atteint vite ses limites face aux changements rapides ou aux crises externes.
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Les qualités humaines, vrai moteur de performance
Au-delà des outils et des modèles, certaines qualités comportementales sont indispensables pour un planificateur efficace. Tous ne sont pas faits pour ce métier. Le modèle HBDI, qui décrit les préférences cérébrales et modes de pensée, illustre bien cette réalité : certaines personnes excellent dans l’analyse détaillée, d’autres dans la vision globale, la synthèse ou l’influence interfonctionnelle.
Le HBDI distingue quatre “quadrants” ou couleurs :
• Bleu – analytique : logique, précision, maîtrise des détails. Crucial pour le suivi des données, l’analyse des capacités et la vérification des plannings.
• Vert – organisationnel : structure, processus, discipline. Indispensable pour transformer les méthodes et standards en plans fiables et reproductibles.
• Jaune – stratégique : vision globale, anticipation, créativité. Nécessaire pour imaginer le MPS, comprendre les interdépendances entre lignes et sites, et préparer des scénarios alternatifs.
• Rouge – relationnel : communication, influence, sens humain. Essentiel pour arbitrer entre fonctions, convaincre les équipes et faire accepter les décisions sur le terrain.

Un planificateur pleinement efficace doit être capable d’activer ces quatre couleurs à différents moments de sa mission : le bleu et le vert pour produire des plans fiables, le jaune pour prendre de la hauteur et anticiper les problèmes, et le rouge pour négocier, convaincre et maintenir la cohésion entre les équipes.
Je me rappelle parfaitement mes débuts. J’avais commencé avec une approche très bleue et verte, concentré sur l’ordonnancement des ateliers de production. Rapidement, je me suis rendu compte que ma capacité à gérer l’ensemble des besoins de production était insuffisante. J’ai dû activer le jaune pour imaginer un MPS global (comment aurais-je pu imaginer faire l’ordonnancement de production sur 18 mois, comme me le demanda un jour, sans rire, le responsable Supply Chain d’une grande société pharmaceutique ) et encore plus le jaune avec du rouge pour construire un S&OP à présenter au comité de direction et convaincre mes interlocuteurs.
Cette progression montre que la planification de production demande une flexibilité cognitive : savoir passer d’une couleur à l’autre selon les enjeux et les moments critiques. Tout le monde n’a pas cette capacité innée, et c’est pourquoi il est essentiel de se poser la question avant d’engager quelqu’un dans cette fonction : possède-t-il ou elle l’agilité cognitive nécessaire pour devenir un planificateur performant ?
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La planification comme miroir de la maturité managériale
La manière dont une entreprise structure et anime sa fonction de planification reflète sa maturité organisationnelle. Les organisations les plus performantes équilibrent méthodologie, compréhension opérationnelle et légitimité relationnelle.
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Conclusion
Reconnaître la planification comme stratégique, c’est bien. La comprendre en termes humains, c’est mieux. Former et certifier, c’est nécessaire. Identifier les bons profils, les exposer au terrain et valoriser leurs qualités comportementales et cognitives, c’est indispensable. Sans cela, même les plans les plus brillants restent vulnérables.
Emmanuel de Ryckel
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