Ou l’art de ne pas laisser les “Singes” changer d’épaule

Introduction

Dans les environnements industriels à forte contrainte réglementaire, tels que l’industrie pharmaceutique, la fonction managériale ne peut se limiter à une supervision opérationnelle. Elle engage une posture de leadership qui conditionne à la fois la performance collective, la qualité de la prise de décision et la maturité des équipes.

Le présent texte propose une approche du management inspirée de la pensée stratégique française — notamment celle du général Charles de Gaulle (Le Fil de l’épée) et du général Pierre de Villiers ( L’art d’être chef) — appliquée aux réalités contemporaines de l’entreprise. Il vise en particulier à éclairer les choix structurants auxquels est confronté un nouveau manager lors de sa prise de fonction.

1. La présence managériale comme acte fondateur

L’un des premiers arbitrages auxquels est confronté un manager nouvellement nommé concerne son positionnement physique et symbolique :

  • exercer son rôle depuis un espace dédié aux managers,
  • ou s’installer au cœur de l’équipe, dans un espace partagé.

Ce choix dépasse la seule organisation du travail. Il constitue un signal managérial fort.

Une présence au sein de l’équipe favorise :

  • l’accessibilité du manager,
  • la compréhension fine des contraintes opérationnelles,
  • la circulation de l’information informelle,
  • la construction d’un climat de confiance.

Cette proximité, toutefois, ne doit pas conduire à une dilution de l’autorité. Comme le souligne Charles de Gaulle, le chef doit conserver une distance fonctionnelle, condition nécessaire à l’exercice de la décision, à l’incarnation du cap et à la reconnaissance de son rôle par le collectif.

La posture managériale efficace repose ainsi sur un équilibre maîtrisé entre proximité opérationnelle et hauteur stratégique.

2. Proximité et autorité : un équilibre structurant

Le leadership ne se résume ni à la verticalité hiérarchique ni à la simple collégialité. Il s’inscrit dans une logique de présence incarnée, où le manager partage le quotidien de son équipe sans s’y confondre.

La « part de mystère » évoquée par De Gaulle dans “Le Fil de l’épée ‘ ne renvoie pas à une opacité relationnelle, mais à la capacité du manager à :

  • préserver un espace de réflexion propre,
  • assumer des décisions parfois impopulaires,
  • incarner une vision au-delà du présent immédiat.

Cette distance symbolique est essentielle pour maintenir la lisibilité du rôle managérial et éviter une confusion des responsabilités.

3. Répartition des rôles et modes de fonctionnement cognitifs (HBDI)

Le modèle HBDI (Herrmann Brain Dominance Instrument) offre un cadre pertinent pour analyser la répartition des rôles au sein d’une équipe.

Dans cette perspective, le manager doit prioritairement investir :

  • les modes Jaune (vision, projection, innovation, stratégie),
  • les modes Rouge (relations, communication, engagement).

Ces dimensions correspondent aux responsabilités fondamentales du manager :

  • donner du sens à l’action collective,
  • projeter l’équipe vers l’avenir,
  • mobiliser et aligner les énergies individuelles.

Les modes Bleu (analyse, rigueur, conformité) et Vert (organisation, planification, exécution) relèvent principalement des collaborateurs et des experts métiers. Une implication ponctuelle du manager dans ces registres est utile pour assurer la crédibilité technique et la compréhension des contraintes, mais une présence excessive constitue un désalignement du rôle managérial.

4. Le risque de la sur-prise en charge : la métaphore du “singe”

Un risque classique du management de proximité réside dans la sur-prise en charge des problématiques opérationnelles.

La métaphore du « singe » illustre ce phénomène : le collaborateur apporte un problème (le singe) au manager. En le prenant à sa charge, le manager soulage temporairement le collaborateur, mais opère un transfert de responsabilité.

À court terme, cette posture peut renforcer la relation individuelle. À long terme, elle engendre plusieurs effets négatifs :

  • déresponsabilisation progressive des collaborateurs,
  • surcharge décisionnelle du manager,
  • affaiblissement de la crédibilité managériale,
  • transformation du manager en point de blocage organisationnel.

La fonction du manager n’est pas de porter les singes, mais de créer les conditions permettant à chacun de gérer les siens, par le cadre, la méthode, l’arbitrage et l’accompagnement.


Conclusion

L’autorité managériale ne se résume ni à la proximité relationnelle ni à la seule capacité décisionnelle. Elle s’exerce dans un équilibre exigeant entre présence sur le terrain, distance symbolique et responsabilité assumée.
Être présent permet de comprendre, d’écouter et d’anticiper.Maintenir une distance fonctionnelle garantit la lisibilité du rôle, la capacité de trancher et l’incarnation du cap.Décider, enfin, engage le manager non à se substituer à ses équipes, mais à leur donner le cadre dans lequel elles peuvent agir pleinement.
La métaphore du « singe » rappelle une vérité essentielle du commandement : un manager qui prend en charge les problèmes à la place de ses collaborateurs affaiblit progressivement l’autonomie collective et sa propre autorité. À l’inverse, refuser que les singes changent d’épaule ne signifie pas abandonner, mais responsabiliser, accompagner et élever le niveau de maturité de l’organisation.
C’est dans cette capacité à rester proche sans se confondre, à guider sans faire à la place, que se construit une autorité durable — une autorité reconnue, non imposée, et pleinement au service de la performance collective.

Emmanuel de Ryckel